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Patrimoine

Chronique toponymique : rue Viel

23 janvier 2019

Texte de Maude Déry

Cette chronique mensuelle rend hommage aux histoires cachées derrière les noms des rues et des parcs de Québec. Chaque mois, un auteur émergent soutenu par Première Ovation s’inspire du patrimoine pour créer une courte œuvre où le réel croise l’imaginaire. Ici, rencontrez Nicolas Viel, missionnaire qui a donné son nom à une rue de l’arrondissement des Rivières.

Rue Viel

L’incommunication

Des Récollets accueillent les premiers Jésuites de la colonie, en 1625. Illustration de C.W. Jefferys.

Chez les récollets, Nicolas, tu fuis le silence et son vertige en posant ta tête contre le marbre du prieuré, là où résonne le vibrato des choristes. Passée l’heure des vêpres, le père Le Caron te parle de la violence des siècles qui brûlent depuis les terres huronnes, de vos frères, de leur langue jamais exhumée. Ses mots tournent en toi pendant des jours, des nuits, marquent le solstice d’hiver de leur inquiétante maturité. Tu aimerais croire à la générosité d’un monde lointain, aux liens brodés à même le feu de ton ignorance, aux chants sacrés d’un peuple inconnu. Les mois passent, avivent ta faim au point de renoncer à tout autre projet sauf celui du grand voyage. À la lueur d’une chandelle, le père Le Caron, le frère Sagard et toi consignez par écrit les premiers lexèmes d’une langue étrangère dans ce que vous appelez « le dictionnaire ».

Mi-juillet. Vous vous embarquez pour le pays des Hurons. Incomplet, tu cherches dans leur verbe un lieu où t’installer. Les hommes que tu rencontres t’initient aux secrets des rêves, t’apprennent à recueillir leurs voix. Tu leur montres à goûter l’hostie, à laisser fondre sous leur langue la parole liturgique. Peu à peu, leurs sons deviennent des mots, des phrases, des histoires de Louskeha et de forces cosmiques. Une manière inédite d’appréhender la vie. En échange, tu les baptises dans la Mer douce peu avant leur mort, les guides vers la consécration ultime, t’abreuves de leurs derniers cris. Deux ans s’écoulent. Le dictionnaire du père Le Caron est enfin complété. Au printemps 1625, accompagné de trois Hurons, tu pars rejoindre les tiens à Québec. Durant la traversée, tes frères s’agitent en poussant des grognements que tu ne reconnais pas. Dans le canot, un courant souterrain se lève, une tension suffocante qui te retient captif. Ils effacent ton nom à coups de hache. Jettent ta dépouille à l’eau, au dernier saut de la rivière des Prairies, toi, encore étranger malgré les années, désormais démon noyé dans les bras du destin.

Québec ville de littérature UNESCO

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