Accueil / Citoyens / Patrimoine / Espace #PatrimoineVDQ / 2025 / Regard sur le patrimoine bâti de Saint-Roch : du faubourg au centre-ville (1800-1940)
Par Jérôme Ouellet, agent de recherche en patrimoine bâti
Cet article est publié dans le cadre de la réalisation de l’inventaire du patrimoine bâti de l’arrondissement de La Cité-Limoilou.
Le patrimoine bâti de Saint-Roch est le résultat d’une évolution spectaculaire qui s’amorce au 19e siècle. En moins d’un siècle, le modeste faubourg du quartier Saint-Roch s’est métamorphosé en un prospère centre-ville. En 1885, un journaliste s’exclame d’ailleurs que « le commerce et l’industrie ont fait de Saint-Roch une véritable ville, dont la population augmente d’une manière prodigieuse d’année en année »1. Voyons comment le quartier conserve les traces de cette évolution entre 1800 et 1940.
Un faubourg est situé à l’extérieur d’une ville-centre, généralement fortifiée. En ce sens, Saint-Roch est une extension de la vieille ville. Son développement est limité au 18e siècle. Tout change au siècle suivant alors que le commerce du bois et, surtout, la construction navale attirent de nombreux ouvriers dans le faubourg. L’installation de tanneries favorise également le peuplement du faubourg, si bien qu’au début des années 1840, la population dépasse les 10 000 habitants.
Dans les quartiers périphériques de Québec, comme Saint-Roch, le type de la maison de faubourg devient prépondérant dans la première moitié du 19e siècle. Il s’agit à la base d’un bâtiment d’un étage et demi en bois, qui est un matériau bon marché. Le toit à deux versants est facilement modifiable selon les besoins. Le modèle de la maison de faubourg est autant utilisé comme résidence, commerce et même pour le domaine industriel.
Les habitations sont généralement de faible dimension, notamment en raison du peu de moyens de plusieurs habitants et de la petitesse des lots. De plus, elles n’occupent pas toute la largeur du lot; des allées permettent d’accéder à l’arrière-cour. La maison Jean-Charest, construite vers 1845, constitue un bel exemple de maison de faubourg.
À cette époque, les commerces et boutiques d’artisans occupent des bâtiments similaires. Ils présentent peu de différences par rapport aux habitations à l’exception du fait que le rez-de-chaussée est adapté aux besoins du commerce ou de l’atelier. La maison Vézina-Roy est un bon exemple de maison de faubourg à usage mixte. Son emplacement à l’angle de deux rues est également caractéristique des bâtiments commerciaux du milieu du 19e siècle.
La première génération de bâtiments industriels occupe aussi le rez-de-chaussée de maisons de faubourg. C’est le cas de la maison Charles-Bellerive, au 273, rue De Saint-Vallier Est. Édifiée en 1856, elle est occupée pendant quelques années par la corroierie (transformation du cuir après le tannage) de Charles Bellerive, qui réside à l’étage.
Densément peuplé et construit essentiellement en bois, le faubourg Saint-Roch subit des incendies dévastateurs en 1845, 1866 et 1870. Afin de prévenir la répétition de ces désastres, l’administration municipale resserre la réglementation en exigeant l’emploi de matériaux incombustibles lors de la reconstruction. Cela a pour effet de favoriser la construction de bâtiments en pierre ou brique. À la suite de ces grands incendies, le cadre bâti demeure largement similaire à celui d’avant 1845 puisque, faute de moyens, bon nombre d’habitants se reconstruisent en bois, malgré le risque encouru. C’est le cas du 734-736, rue De La Salle, construit en bois quelques années après l’incendie de 1845.
Au cours des années 1870, Saint-Roch est en voie de reconvertir son économie. Le commerce du bois et la construction navale cèdent le pas à l’industrie légère, particulièrement la chaussure et le cuir. À la même époque commencent à apparaitre les grands magasins comme Paquet et Laliberté. Le quartier s’impose alors comme le centre-ville commercial et industriel de Québec. La population, qui avait décliné en raison de la morosité économique, recommence à augmenter. Cette croissance des activités humaines entraine la densification du cadre bâti de Saint-Roch. La maison de faubourg traditionnelle perd alors son quasi-monopole. En outre, le bois fait définitivement place à la brique et à la pierre, à tout le moins comme matériau de parement.
La densification se réalise notamment par l’occupation complète de la largeur du lot. Afin de permettre l’accès à l’arrière-cour, qui est parfois associée à une activité économique (boulangerie ou charpenterie par exemple), des passages cochers ou courroirs sont ajoutés à des constructions anciennes. La maison Jean-Baptiste-Michaud illustre bien ce processus. Édifiée après le grand incendie de 1845, elle apparaît dans le plan d’assurance-incendie de 1875 comme un bâtiment carré. Une vingtaine d’années plus tard, elle est agrandie vers l’est, dotée d’un passage cocher et surélevée d’un étage.
Ce type d’intervention par lequel on ajoute un ou deux étages à un bâtiment existant est un vecteur important de la densification du cadre bâti de Saint-Roch. Cela favorise également l’introduction de nouvelles formes architecturales comme le toit mansardé et le toit plat, qui permettent de maximiser l’espace disponible par rapport à un toit à deux versants. C’est un phénomène très répandu dans le quartier, tant dans l’architecture résidentielle que commerciale. C’est le cas, par exemple, du 734-736, rue De La Salle. Maison de faubourg d’un étage et demi à l’origine, elle est exhaussée au tournant du 20e siècle pour former un bâtiment de deux étages avec toit plat. Fait à noter, elle demeure l’une des rares maisons du quartier à avoir conservé son parement de bois.
Si agrandir le bâtiment existant ne suffit pas, on reconstruit à neuf. Parfois, c’est par nécessité, comme à la suite de l’incendie de 1899 qui détruit près de 60 maisons. Les maisons les plus imposantes de Saint-Roch ont généralement trois étages. Parmi celles-ci, on trouve quelques immeubles à logements apparus avant 1940, dont le 605, rue de la Reine.
Dans le domaine commercial, la densification par reconstruction est plus spectaculaire. En 1890, Zéphirin Paquet fait construire le 525-529, rue Saint-Joseph Est, un magasin de six étages qui, à cette époque, est le plus vaste de la ville. Trente ans plus tard, la compagnie Paquet édifie un vaste entrepôt sur le boulevard Charest. Les nouveaux bâtiments industriels dans Saint-Roch ont également, à cette époque, une empreinte urbaine très marquée. Pensons au Lieu historique national du Canada La Fabrique, à l’usine de la Rock City Tobacco Co et à la manufacture de la famille Woodley.
À la fin des années 1930, l’aspect du quartier de Saint-Roch est profondément transformé par rapport à ce qu’il était un siècle plus tôt. Tout en conservant les traces de passé, le cadre bâti est plus dense et son architecture est plus variée, parfois même compartimentée selon les différents usages, que cela soit une résidence, un commerce ou une industrie. À la même époque, l’architecture du quartier entre dans une phase de modernisation qui introduit de nouvelles formes dans le paysage urbain.
780 bâtiments construits avant 1940 ont été inventoriés dans le quartier de Saint-Roch. Vous pouvez les découvrir en consultant le répertoire du patrimoine bâti.
[1] « 350e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier à Québec – au cercle catholique », Journal des campagnes, vol. 4, no 35 (1er octobre 1885), p. 8.
Division du Vieux-Québec et du patrimoine. Saint-Roch : un quartier en constante mutation. Québec, Ville de Québec, 1987, 54 p. Coll. « Les quartiers de Québec ».
MORISSET, Lucie K. Patrimoine du quartier Saint-Roch [:] la mémoire du paysage [:] histoire de la forme urbaine. Québec, Ville de Québec, 1996, 287 p.
NOPPEN, Luc. Patrimoine du quartier Saint-Roch [:] l’identité architecturale usages [:] formes et monuments. Québec, Ville de Québec, 1996, 273 p.
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